mercredi 30 juillet 2014

D'où vient la "norme" de 400 m du règlement qui entre en vigueur le 14 août 2014 – impact sur Anticosti

Le gouvernement publie dans la Gazette Officielle le Règlement sur le Prélèvement des Eaux et leur Protection (RPEP). Dans ce règlement, qui porte sur le captage et la protection des eaux souterraines rappelons-le, on retrouve toute la section IV FRACTURATION, qui de façon plutôt étonnante, introduit une série de règles pour l'exploration/exploitation d’hydrocarbures par la fracturation des roches-mères, comme ce sera le cas à Anticosti. Nous faisons ci-dessous un examen de cette section IV en relation avec Anticosti et non pas une analyse complète des autres aspects du règlement; cette autre analyse se trouve à ce lien  Langelier, Brullemans, Savaria, Marier, Durand , août 2014.

Le gouvernement a tellement hâte d’encadrer officiellement l’exploitation des hydrocarbures de roche-mère, ce qui ne se fait qu’avec une technique de fracturation, qu’il choisi de commencer à le faire ici par le biais d'un règlement qui n'a pas à être voté, sans même un examen public de la question, sans attendre la future loi sur les hydrocarbures, ni même les recommandations du BAPE qui porteront sur l’emploi de la fracturation hydraulique dans l’Utica, ainsi que sur la pertinence d’exploiter par cette technique le shale dans l’île d’Anticosti.

Cette introduction des « normes » requises pour permettre la fracturation est faite de façon assez arbitraire, voire hautement fantaisiste à l’occasion, comme par exemple l’article 40:
"Une opération de fracturation dans un puits destiné à l’exploration ou à l’exploitation du pétrole ou du gaz naturel est interdite à moins de 400 mètres sous la base d’un aquifère".

Cela soulève plusieurs questions mal définies dans le texte, comme par exemple:

1) Est-ce la position d'une section du forage lui-même ou bien la limite supérieure de la zone fracturée qui sera prise en compte? La base des aquifère pourrait-elle être ramenée par le détenteur de permis de 200 à 50 m si il trouve de l’eau un peu saline (4000 ppm) à une faible profondeur?

Et plus important,
2) pourquoi 400 mètres, plutôt que 1000 m, 1500 m?

Il y a une réponse très apparente à cette dernière question dans la comparaison de l'impact de cette distance dans le cas d'Anticosti; figures 1 et 2 ci-dessous:
Figure 1. Avec une distance de 400 m, une petite partie des permis est exclue.

Quatre cent mètres est une distance deux fois et demi plus courte que ce que l’industrie s'est donné comme "norme" sous la base des aquifères: 1000 m. Je dois préciser ici qu'à ma connaissance, aucun État ou province n'a formellement une norme. C'est plutôt la distance que l'industrie présente comme preuve que la contamination ne peut rejoindre les nappes car, disent- ils, " il y a toujours une succession de couches imperméables sur une épaisseur de 1000 m entre là où on fracture et le bas des nappes".

La nature des couches, la présence de failles, etc. seraient tout autant, sinon plus, des paramètres à prendre en considération pour établir une "norme". Comme c'est très complexe de légiférer en tenant compte de l’ensemble ces divers aspects, les États en fait n'ont pas tenté d'établir de "norme". Le MDDEFP le fait et c'est bien le seul. Mais il le fait de façon tellement irréfléchie, juste pour "ouvrir" tout Anticosti l'an prochain à des futures demandes de permis de fracturation. À Anticosti là où le consortium Hydrocarbures Anticosti S.E.C. détient ses permis, le shale est trop peu profond; on "invente" au ministère donc une « norme » de 400 m.
Où se situe le motif d'urgence pour glisser une règlementation sur la fracturation dès maintenant? Avant même toute possibilité d’en présenter les impacts au BAPE ? Et pourquoi le faire dans un règlement qui fondamentalement est promulgué pour une question tout autre? C'est sur la figure 2 qu'on peut sans doute trouver la réponse:


Figure 2. Avec une distance de 1000 m, entre les nappes et la zone de fracturation, une très grande partie des permis serait exclue (dont ceux de Pétrolia pour lesquels le Québec a racheté à grand frais une participation).

Cet été les foreurs doivent connaitre dès maintenant dans quelle zone la fracturation du shale serait éventuellement autorisée. Il n'y aura sans doute pas de fracturation avant 2015, mais cet été il y aura l'étape No1 qui consiste à choisir les sites et peut-être aussi faire des forages horizontaux dans le shale même de Macasty. Les demandes de permis de fracturation seront faites plus tard certes, mais les forages préalables sont réalisés dès l’entrée en vigueur du règlement. On va surement les nommer "sondages stratigraphique", pour bénéficier des avantages de cette nouvelle appellation introduite dans la dernière version du règlement. L'industrie a un besoin pressant d'être autorisée à fonctionner avec la figure No 1 plutôt qu'avec la figure No 2. Est-ce bien là l'urgence? Je n'en vois pas d'autre et le MDDEFP n'en a pas indiqué d'autre non plus. L’extension, la pénétration de la fracturation est une donnée encore largement méconnue, mais des compilations montrant des extensions de 550 m ont été publiées (voir la question 8 dans le texte à ce lien).

D’où vient ce choix des rédacteurs pour introduire par le biais d'un simple règlement une norme arbitraire dont les impacts sont si considérables ?

Autre exemple de rédaction farfelue : 41. "Toute opération de fracturation doit être planifiée et réalisée de manière à prévenir la propagation de fractures vers une voie préférentielle naturelle d’écoulement des fluides ou un puits existant". C'est tout à fait irréaliste et sans signification, car il est reconnu par les experts qu’il est impossible à modéliser la propagation des fractures. Seule les mesures microsismiques pendant les opérations de fracturation peuvent APRÈS COUP donner des indications sommaires et indirectes sur la propagation des fractures.

46." Le responsable d’un puits doit transmettre au ministre, dans les 30 jours suivant la fin de la mise en œuvre d’un programme de fracturation... événements ... incidents... le cas échéant, la cartographie des événements microsismiques enregistrés."

Ce rapport est déposé, mais la pratique en vigueur au MRN est que seuls les rapports de forages sont publics trois ans après leur dépôt. Dans le cas de tous les autres travaux annexes, comme la fracturation du puits, ces rapports dits de complétion sont seulement déposées au MRN. Le ministère ne les divulgue pas et les garde confidentiels tant que l’entreprise le désire. Nous n’avons toujours pas accès pour les 18 puits fracturés dans l’Utica entre 2006 et 2010 à ce type de rapport;  la commission ÉES ne les a pas analysés, encore moins divulgués, malgré les millions de son budget. Finalement déposer un rapport confidentiel pour faire une déclaration volontaire d"incidents" (i.e. des fracturations qui entrent directement dans le bas des nappes), sans aucune pénalité prévue dans ce règlement, c'est une farce sinistre et c'est vraiment pas sérieux comme article de loi.

Le règlement ne fait aucune obligation d'utiliser la microsismique pour vraiment voir jusqu'où remontent les fractures, sauf pour le premier puits foré; cela ne sera pas exigé pour les autres puits "lorsque de tels suivis ont déjà été réalisés au sein de la même formation géologique" !?? Ces opérations de microsismique coûtent cher. Bien que l’industrie présente constamment cette technique comme une garantie du bon contrôle de leurs opérations, la microsismique n’a été utilisé aux USA que dans 3% des opérations de fracturation. Au Québec, on permettra donc encore moins! Une seule opération pour le shale d’Utica et une seule opération pour la formation Macasty sur toute l’île d’Anticosti, voilà ce qu’exige le règlement.

La migration des fluides vers les nappes se fera sur des années, et cela ne se mesure pas vraiment pendant les opérations de fracturation qui se font en quelques jours. De plus, écrire comme règle "ne rejoindra pas..." un aquifère est très différent de dire qu'une marge de 400 m ou 1000 m doit exister. Une opération de fracturation qui remonterait de 390 m par exemple ne "rejoindrait pas..." la nappe pendant les opérations de fracturation, car elle laisserait une marge (ou norme?) de 10 m; c'est extrêmement laxiste comme formulation de règlement. Et surtout cela permettra en toute légalité d'avoir des fracturations qui vont remonter vraiment très près du bas des nappes; cliquez pour voir l'implication bien réelle des articles 40 à 46 expliquée en vidéo.

Nulle part dans ce règlement sur la protection des eaux souterraines il n'est question de l'impact qu'aura la présence même des puits, qui demeurent en place même abandonnés, ni de l'impact hydrogéologique résultant de la transformation radicale de la perméabilité du shale et des roches encaissantes. Elles auront été fracturées de façon irréversible, formant une couche perméable continue sous toute l'Île. Les puits et leur cimentation imparfaite vont se dégrader dans le temps. À moyen terme les hydrocarbures encore en place dans le shale fracturé vont remonter et contaminer à coup sûr les nappes. Douze mille puits abandonnés signifient douze mille conduits potentiels pour faire passer de virtuelle à réelle cette contamination généralisée de l'Île d'Anticosti.

Tout n'est pensé qu'en terme de l'impact à très court terme des opérations d'une exploitation pétrolière que le gouvernement choisit aujourd'hui de légiférer. Le législateur a totalement oublié une chose fondamentale: nous aurons besoin de nos aquifères pas seulement pendant les activités de forage et de fracturation, mais également après et bien longtemps après.

Manifestement improvisée pour une application urgente à Anticosti, ce règlement aura des effets pernicieux hors du cadre de ce seul gisement de pétrole de roche-mère. Partout au Québec, y compris évidemment en Gaspésie, des forages passant à l'horizontale à tout juste un peu plus de 400 m sous une nappe, pourront obtenir des permis de fracturation. L'opérateur n'a comme seule restriction que de veiller en fracturant à ce que ses fractures ne dépassent pas 400 m de long, sinon elles entrent dans le bas de la nappe. Les médias ont rapporté qu'au Québec on allait avoir 400 m alors qu'aux USA on garde une distance de 1000 m entre la fracturation et les nappes. C'est cependant faux de dire ça; la marge de sécurité au Québec sera zéro mètre et non pas 400 m, parce qu'au Québec le MDDEFP fixe une règle pour fracturer dans* ce 400 m. C'est toute une nuance ! Et que dire de l’Allemagne qui fixe à 3000 m de profondeur la limite sous laquelle la fracturation hydraulique sera interdite d’ici la fin des études en 2021. En dehors du Québec avec 400 m et de l'Allemagne avec 3000 m, les États et provinces n'ont pas de norme de distance verticale. Nous avons discuté ci-dessus de la règle non officielle de garder >1000 m entre l'extension maximale de la fracturation et le bas des aquifères, mais ne n'est pas au sens strict une norme légale.

Comme par un "heureux hasard" le règlement conviendra sur mesure au très controversé puits Haldimand 4 dans le territoire de la municipalité de Gaspé, comme on peut le constater ci- dessous:


Pétrolia n'a pas indiqué à ce jour vouloir demander de permis de fracturation pour ce puits, mais la distance verticale de 400 m sous le bas de la nappe dans le règlement lui conviendrait tout-à- fait si jamais le puits horizontal ne se révélait pas assez productif sans fracturation. 

* Le rapport du BAPE 2014 (voir p. 408) a compris et signale l'absurdité de cette disposition du RPEP qui ne protège absolument pas les nappes phréatiques. Le gouvernement a tort de présenter cette norme de 400m comme "la plus sévère en Amérique du Nord"; c'est une norme scandaleuse qui doit être retirée du RPEP.

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