vendredi 1 janvier 2016

Une autre étude économique très peu fiable...

Dans ce premier billet de 2016, je traite d'un autre rapport de l'Évaluation Environnementale Stratégique Anticosti. Il porte sur les "Avantages et désavantages concurrentiels de l’exploitation des hydrocarbures au Québec". Au moment d'écrire ce texte, le rapport GECNo5 n'est disponible qu'en anglais sous le titre "AN ASSESSMENT OFTHE ECONOMIC AND COMPETITIVE ATTRIBUTES OF OIL AND NATURAL GAS DEVELOPMENT INQUEBEC" par Canadian Energy Research Institute, un institut de Calgary financé par Natural Resources Canada, Alberta Energy, the Canadian Association of Petroleum Producers et l'University de Calgary (CERI).

Cette étude porte sur les deux bassins géologiques de shale au Québec: l'Utica des Basses-Terres et le shale Macasty à Anticosti, donc les deux hypothétiques gisements d'hydrocarbures qui ne pourraient être exploités que par les techniques non conventionnelles (fracturation). Le rapport du BAPE en décembre 2014 a pourtant réglé la question de l'Utica; il est étrange de voir cette nouvelle étude reprendre à nouveau le dossier économique de l'Utica. Les auteurs précisent que les données utilisées pour refaire cette analyse du gaz de l'Utica sont celles de la cie Talisman "The Utica shale gas profile was provided by Talisman who are currently exploring development of shale gas in Québec" p.71.

Pour Anticosti, le rapport GECNo5 précise que leurs données sont puisées dans l’étude AECNo1&2 pour l’ÉES, celle du « scénario optimisé ». Comme il a été démontré que cette simulation signée Ministère des finances du Québec comporte une erreur de taille qui double en fait les valeurs de pétrole qui serait produit par 4155 puits, le coût de production que le GECNo5 devrait indiquer devrait être le double: $95,50 x 2 =>  $191/bbl. Étrangement il n'est pas fait mention non plus que la simulation du Ministère des Finances est en fait basée elle-même sur des données provenant de l'Ohio.

On a pas fini de voir l’erreur dans la simulation AECNo1&2 reprise sans discussion dans un tas d’autres rapports. À cette erreur dans l'étude source, les auteurs du nouveau rapport en ajoutent beaucoup d'autres. Le rapport GECNo5 semble avoir été rédigé dans une grande précipitation, sans que ses auteurs n'aient pris la précaution d'en réviser le texte.

Pour arriver à leur coût de production, ils retiennent un coût de seulement $5,78 millions/puits + $60000/an en coût d’opération (GECNo5, p.31); ils ne précisent pas d’où est tiré ce coût de construction de puits si bas. C'est d’autant plus étonnant pour Anticosti que deux pages plus loin, ils indiquent un coût par puits de $9,47 millions (p.33) pour l’Utica des Basses-Terres. Un puits foré & fracturé à Anticosti coûterait donc 40% moins cher qu'un puits comparable fait dans les Basses-Terres du St-Laurent?

Autre coût: aux tableaux 3.1 et 3.2 on fixe les redevances provinciales à seulement 10% (the current provincial royalty) . C’est pas mal moins que ce qui est proposé aux tableaux 8.1 et 8.2 de la politique Énergétique 2016-2025 qui va jusqu’à 40%.


Toujours dans le rapport GECNo5, de façon incompréhensible on a écrit «Oil Production Assumptions and Economic Impacts: Assuming that 15 percent of the 43.6 billion barrels in the Macasty is recoverable» (p. 54) ce qui est identique à ce qui est écrit sept pages plus loin comme taux de récupération pour le gaz dans le gisement du shale Utica:  «Also assumed is that 15 percent of the 176.7 Tcf in the Utica is recoverable» p.61.

Comme hypothèse de taux de récupération du gaz dans l’Utica c’est plausible, mais pour le pétrole du shale de Macasty, c’est aberrant ! Prendre 15%, c'est supposer un taux de récupération dix fois plus grand qu'un taux réaliste comparable à ce qui existe dans d'autres gisements de pétrole de shale où la récupération oscille entre 1,2 et 1,8%.

Dernier élément qui se rapporte à l’Utica. Ils utilisent des données de courbe de déclin publiées pour l’Ohio. C'est aussi là une référence qui donne un taux de déclin nettement favorable et pas du tout compatible avec celui obtenu dans d’autres gisements de gaz de schiste où la production de l’an 1 représente 75 à 85% de tout ce que le puits donnera.

J’ai superposé (violet) sur leur figure (page 64 du rapport GECNo5) les seules données pour l’Utica du Québec que j’ai trouvées (celles du puits A275 Talisman-St-Edouard-HZ-No1). Cela donne ceci:



La surface sous la courbe, c’est le volume cumulatif de la production d’un puits; celle sous la courbe rouge (courbe fictive - Ohio) donne un volume plus de cinq fois plus grand que le volume qu'il est possible d'obtenir avec la courbe en violet (cas réel - Québec).  Dans ce dernier cas, j’ai calculé que la production ultime du puits A275 serait de 37Mm3 (~1300Mpc) ce qui rapporterait brut à 3$/1000pc environ la moitié seulement du coût du puits. Talisman a  rayé des livres ses actifs au Québec… parce que cela n’est pas rentable?

Le puits A275 est pourtant présenté par des auteurs (Cheng, Lavoie & Malo, 2014) comme le meilleur des 18 puits fracturés. Une analyse coût/bénéfices du gaz de l'Utica ne devrait pas utiliser en 2015 des données de l'Utica de l'Ohio; il y a eu dix-huit puits fracturés dans l'Utica du Québec entre 2008 et 2010 et ces données sont encore presque toutes confidentielles. Les rares données qui sont publiées laissent entrevoir une situation très différente, sans doute encore bien moins rentable, que celles que les auteurs du rapport GECNo5 s'obstinent à utiliser.

Avec toutes ces prémices plus ou moins douteuses, lesquelles entachent sérieusement la fiabilité du rapport, l'étude GECNo5 donne une conclusion mitigée pour chacun des deux gisements hypothétiques:

Anticosti: "Currently with production costs above $95.50/bbl for oil it is not economic to develop." (p.70)

Utica: "Natural gas production costs at $3.72/mcf means this is a marginal play." (p.71)

Ces deux valeurs sont de plus fausses; une étude rigoureuse de la situation réelle donnerait des coûts bien plus élevés, donc des conclusions plus tranchées et totalement défavorables pour l'exploitation de l'un ou l'autre gisement. Les auteurs du rapport n'ont pas voulu aller aussi loin; au contraire, ils laissent une porte ouverte à l'exploitation éventuelle de ces deux gisements. La conclusion finale donne bien le ton qu'on peut attendre d'auteurs qui proviennent de l'industrie pétrolière:  "In the end, developing the oil and gas production industry in Québec, or anywhere else, is all about price. If producers can make their necessary profit margins under any three of the development scenarios posited in this study, Québec oil development, Québec gas development, or both, will go ahead and the province will see GDP, employment, and taxation impacts as a result". Une question de coût, une question de profit, essentiellement.

Cela rejoint tout à fait le mémoire du Conseil du Patronat qui recommande au gouvernement de fixer un taux de redevance "favorable" pour permettre le démarrage de l'industrie et d'avoir dans la future loi sur les hydrocarbures, le soucis de bien tenir compte de "la cohérence de la réglementation avec ce qui se fait ailleurs, pour être concurrentiel et réussir à intéresser les joueurs clés de l’industrie et les investisseurs" (p.9).

J'ignore combien le gouvernement a payé le CERI pour ce rapport GECNo5.  J'ignore surtout pourquoi on commande à des organismes de l'industrie pétrolière des rapports de ce type. Les erreurs et les surestimations des retombées positives que colportent tous ces divers acteurs de l'industrie se répercutent d'un rapport à l'autre. Ces mêmes erreurs se retrouveront peut-être, on peut le craindre*, dans les conclusions de deux prochains rapports qui restent encore à être publiés:

- ATVS02: Analyse avantages-coûts (AAC) d’un éventuel développement des hydrocarbures à Anticosti. Gouvernement du Québec


- Rapport final de l'ÉES Anticosti. Comité des huit membres des ÉES, Gouvernement du Québec

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Ce texte a été également envoyé à l'Évaluation Environnementale Stratégique et y est affiché dans la liste des mémoires sous le titre:
          Les études économiques sur l’hypothétique gisement Macasty - - Durand, Marc
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Un ajout en date du 6 février 2016.

Voici ce qui s'apparente à de la fraude scientifique; le mot peut paraître fort, mais il est justifié car le rapport tente au maximum de trouver des données s'approchant d'une rentabilité fictive. À la page 57 du rapport GECNo5 en anglais on trouve cette figure intitulée "Courbes de production et de déclin, shale Macasty":


Dans la version française la figure est à la page 58 et a un titre un peu distinct: "Courbe de baisse de production, shale de Macasty". En français ou en anglais, cette figure constitue une désinformation, une quasi fraude, car il n'existe nulle part une courbe de production dans le Macasty pour la simple et bonne raison qu'il n'y a pas encore de puits équipé pour le pompage du pétrole dans ce shale Macasty. 

C'est donc un diagramme fabriqué de toutes pièces (ça fait pas sérieux pour le CERI); et tant qu'à fabriquer une courbe, les auteurs lui ont donné des caractéristiques fort inusitées: en 12 mois, par rapport au débit initial la production ne chute que de 47% (95 -> 55 ). Dans la courbe rouge (Macasty théorique) de la figure ci-dessus, ce n'est qu'après >25 ans que le débit chute à 10% de la valeur initiale. Dans le cas de gisements réels (figure ci-dessous), c'est en deux ans seulement que le débit se réduit à 10%.

réf.  https://uu.diva-portal.org/smash/get/diva2:762320/FULLTEXT01.pdf

Ce qui reste comme débit (en rouge ci-dessous) après 12 mois, 24 mois et après 60 mois:
Déclin   choisi par l'étude GECNo5        Étude Université Uppsala            Nb de mois
                 47%    (53%)                          75,2  à  82,5%    (25 -17%)                  12
                 62%    (38%)                          86,6  à  91,3%    (14 - 9%)                   24
                 81%    (19%)                           96    à  99%        (4 - 1%)                    60

Les études économiques AECNo1&2 et GECNo5 se basent sur une productivité (théorique) de 25 ans, alors que dans la réalité des gisements non conventionnels dans les shales, la productivité commerciale devient négligeable après la cinquième année. Il y a dans l'étude GECNo5 une énorme surestimation de la production d'un puits-type.
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* En effet le rapport final de l'ÉES reprend telle quelles les données erronées de l'étude du Ministère des Finances.

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