mercredi 15 juin 2016

Anticosti: le gouvernement dit OUI à la fracturation hydraulique :

En même temps que se déroulait un Colloque à Montpellier destinés aux élus (députés, maires, etc.), ici au Québec le comité de trois proches du MDDELCC a complété et publié son rapport pour l'octroi de permis ("autorisations") de forage à Anticosti. Le gouvernement donne même d'avance (les forages ne sont pas encore réalisés...) l'autorisation de faire de la fracturation. L'étape prévue de demande d'autorisation de "complétion" (= fracturation) est ainsi combinée avec celle du permis de forage: un spécial deux pour un ! J'avais écris le 1er mars dernier que ces autorisations seraient accordées; cela se fait deux mois plus tard que la date prévue, mais on accorde tout d'un bloc maintenant, même pour les opérations "de complétion" qui ne se dérouleront qu'à l'été 2017.

On permet la fracturation au Québec sans tenir aucunement compte de l'acceptabilité sociale, de l'environnement, ni même de l'économie déficitaire de l'aventure, et pire, même pas de la géologie qui sera recoupée par ces forages horizontaux. Les trois experts écrivent en effet, avant même la réalisation des forages aux trois emplacements, que "les risques de contamination des eaux souterraines étaient rendus minimes par le fait de la présence de couches géologiques imperméables entre le niveau de fracturation et la surface, ainsi que par l’absence de fractures ou de failles majeures qui permettraient l’ascension non voulue de fluides contaminants" à chacun de ces trois sites.


Voici un exemple de ce que pourrait peut-être montrer la coupe géologique d'un forage, si au moins on attendait qu'il soit réalisé avant de donner un OK pour la fracturation: 

Pas moins de sept failles sont indiquées dans le rapport de forage pour la portion horizontale du forage Talisman Leclercville 1AHZ


Ce n'est pas du tout pertinent et certainement pas scientifique de faire ce type d'affirmation (texte cité en italiques au paragraphe précédent) quant à l'absence de fractures ou de failles sur trois sites pas encore forés.

Quant à " la présence de couches géologiques imperméables entre le niveau de fracturation et la surface", c'est tout simplement faux. La nature des couches qui sont au-dessus du shale Macasty contredit cette affirmation. Ces strates sont souvent fracturées et perméables. Le rapport rédigé pour l'ÉES Anticosti par la firme WSP décrit d’ailleurs ces strates de couverture comme n’étant pas étanches, la seule couche étanche dans la séquence stratigraphique étant le shale de Macasty lui-même : « la couche de couverture, c’est-à-dire imperméable à la migration du CO2, est le Macasty (Bédard et al., 2011), soit la même couche visée par les opérations de fracturation » (rapport AENV17 p.37). Si on considère qu’on fera la fracturation dans le Macasty, il est faux de prétendre qu’il restera ensuite des barrières imperméables vers la surface. Ces affirmations du trio d'experts sont très peu scientifiques.

Le MDDELCC a autorisé d'un coup aujourd'hui pour les trois sites:

- la réalisation des trois forages avec leur fracturation subséquente, sans même attendre de voir les rapports de forage,

- les prélèvements d'eau dans les petites rivières adjacentes (Ste-Marie, Jupiter, Rivière-au-Fusil, Ruisseau Jean IV), 

- le traitement des eaux usées par un sous-traitant. Sont caviardés le nom du sous-traitant, le type de procédé, les quantités liquides, solides, etc. Tous les noms des auteurs des études et documents sont masqués.

- le torchage du gaz, pompeusement appelé "Système de traitement des émissions atmosphériques". Là aussi sont caviardés toutes les indications quantitatives, les types d'équipement, leurs dimensions et capacités, les noms des auteurs de tous les documents mentionnés, etc.

Le rapport des trois experts a cependant ajouté quelques timides constats; on pourrait même ajouter bien timides constats, car cela ne les a pas empêchés de prononcer un avis favorable:


- À propos du fait que les études hydrogéologiques* soient celles de Pétrolia, "le comité suggère que la direction spécialisée du MDDELCC formule son propre avis ou entérine formellement (??) celui de son consultant externe (le consultant de Pétrolia)."

- "Aucun plan de remise en état du terrain et des voies d’accès (LDPEGP section 3.2.12) n’a été déposé, ni d’engagement quant à la restauration du site à la fin des travaux"

- "... programme de détection et de réparation des fuites gazeuses et liquides sur le site. Aucun document ou renseignement précis à ce sujet n’a été retrouvé dans la documentation soumise par le promoteur bien que le Ministère l’ait demandé de façon spécifique"

- "le Plan des mesures d’urgence demandé par les lignes directrices (LDPEGP section 3.2.9) n’a pas été déposé".

Le MDDELCC encore une fois ne respecte pas ses propres règlements; c'est sans compter les multiples tentatives de masquer ces faits par des délais, des documents gardés secrets, les noms des auteurs caviardés, tout comme les estimés chiffrés des volumes de fluide, de gaz brulé, etc. C'est de la très évidente incompétence dans des prises de décisions successives toutes improvisées et irréfléchies. On va créer trois sites contaminés et inutiles car l'information qu'on prétend chercher ne changera pas une évaluation qu'on a déjà: le shale Macasty d'Anticosti n'est pas et ne sera jamais économiquement exploitable.

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* De plus ces études sont gardées secrètes: impossible de vérifier ce qu'elles contiennent.




Le Colloque à Montpellier le 10 juin 2016

Voici un bref compte-rendu d'un colloque qui s'est tenu à Montpellier vendredi 10 juin 2016. Tout le battage médiatique fait par le comité organisateur a été basé sur la venue d’un expert du Canada. J’ai donc dû me plier de bonnes grâces au jeu médiatique qui entourait ce colloque en donnant plusieurs entrevues, notamment pour le Midi Libre (ci-dessous). Tout est politique en France, y compris le débat sur les gaz de schiste. Fabrice Verdier député du Gard, Président de la Mission Gaz de schiste à l'Assemblée Nationale, assistait au colloque et il m’a remercié dans son allocution d’introduction d’avoir accepté l’invitation. 

Ma présentation a eu beaucoup d'impact, car personne en France n’a fait d’analyse comparable m'a-t-on dit. Je suis très satisfait d’avoir fait plusieurs rencontres fort intéressantes de collègues chercheurs universitaires. Les organisateurs par contre ont été déçus de l’assistance espérée (sénateurs, députés, maires et autres élus de la région sud): ils attendaient 150 personnes, il n’y en a eu que 32 . Cependant toutes les présentations seront prochainement disponibles en ligne; je placerai ici le lien pour les voir au bénéfice des personnes qui pourraient être intéressées. Il y a pour l'instant deux entrevues vidéo où on place en opposition les opinions contrastées de deux experts, ainsi que la vidéo de ma présentation de 18 minutes.

Ci-dessous un extrait de la page 15 du journal local du lendemain. 

Extrait de la page 15 du journal "Le Midi Libre" du samedi 11 juin, qui a relaté le Colloque sur cinq colonnes; j'ai corrigé (en rouge) deux petites erreurs factuelles.
La France a depuis juillet 2011 une loi qui interdit formellement la fracturation hydraulique. Cela n'empêche pas qu'à l'approche des élections de 2017 le sujet soit constamment évoqué dans les débats politiques. Des groupes de pressions, les milieux industriels, quelques députés ont tenté de contester la validité de la loi. D'autres ont cherché l'option de contourner l'interdiction en évoquant l'emploi de techniques alternatives, y compris les plus farfelues, comme celle "découverte" par Arnaud Montebourg. L'information scientifique rigoureuse réussit rarement à se frayer un chemin au travers des controverses et déclarations des politiques. Le colloque du 10 juin dernier a constitué une exception très rafraîchissante. Tout le mérite de ce succès revient à Mme E. Bourgue de NFF.

Pendant ce temps là, ici au Québec le gouvernement autorisait la fracturation hydraulique à Anticosti sans aucune consultation d'expertise externe crédible. Voir mon autre billet du 15 juin.

mercredi 1 juin 2016

Anticosti: une évaluation des ressources en gaz et en pétrole

Note préliminaire: il y a une version vidéo condensée (13 minutes) de cette étude.


RÉSUMÉ : L'analyse ci-dessous démontre hors de tout doute que la rentabilité strictement commerciale d'exploitation d'hydrocarbures à Anticosti est inexistante, même dans les hypothèses les plus optimistes. Cette analyse se fonde sur l'ensemble des données géologiques, incluant les forages les plus récents. La compilation des données géologiques a été réalisée par Chen et al. de la Commission Géologique du Canada (2016). Nous avons repris ces données pour faire une évaluation de l'exploitabilité des ressources en pétrole et en gaz, en tenant compte essentiellement de la valeur extraite et des coûts commerciaux de l'exploitation, sans même parler des coûts environnementaux et sans ajouter non plus le coût des redevances. La conclusion sans appel est que la valeur des ressources exploitables est bien inférieure aux coûts dexploitation. 


En mai 2016, la Commission Géologique du Canada a mis en ligne le rapport #8019 rédigé par Chen et al. [réf.1].  Cette étude constitue une évaluation complète sur le potentiel des ressources gaz et pétrole en place à Anticosti; malheureusement la version française du rapport comporte des erreurs sur la quantité de la ressource. Aux pages 2,  54,  56 et  59 (l’erreur existe aussi p. 2, 53 et 54 dans la version en anglais)  on indique au final de l’évaluation des ressources en place 42,1 milliards de barils équivalents pétrole (Gbep) qui seraient la somme de 32,3 Gbep en pétrole + 52,4 Tpc en gaz convertis en bep ; mais ces valeurs sont incompatibles avec le taux de conversion (6000pc=1bep) que l'auteur indique avoir pris.

J’ai contacté directement Z. Chen l’auteur principal ; quelques échanges de courriel ont permis d’éclaircir cette erreur. Les bonnes valeurs sont au tableau 7 page 49 dans le rapport en anglais m’a-t-il indiqué, et effectivement avec la valeur 40,6 (ci-dessous), cela balance:

Tableaux 1 et 2 - Différences des valeurs entre les versions anglaise et française *:


On y voit les estimés pour les probabilités 95%, 90%, 75%, 50%, 25%, 10% et 5%. Les valeurs diffèrent toutes du même tableau dans la version en françaisIl est regrettable qu’aucun des co-auteurs francophones de cette publication (D. Lavoie, M. Duchesne ou M. Malo) n’ait détecté et corrigé ces erreurs dans le tableau du texte français. Mais malgré ces petits bugs, leur étude est de très haute qualité. Elle fait ce que l'ÉES Anticosti (Évaluation Environnementale Stratégique) a très mal fait, malgré les millions dépensés: une évaluation de la ressource avec l'ensemble des données géologiques, incluant les forages des campagnes récentes (2014 et 2015). Le rapport final de l'ÉES Anticosti reprend sans nuance les erreurs du chantier Économie. Nous le commenterons dans la dernière partie de notre texte en analysant spécifiquement les ressources que correspondraient au cas du scénario "optimisé"  retenu dans le rapport final [7].

Nous ne retiendrons pour la suite que les valeurs de la probabilité 50%, celles qu’on cite toujours dans les études précédentes [2], [3] et [4]; ces valeurs sont 32,2 Gbarils en pétrole et 51,2 Tpc en gaz (qui équivalent à 8,4 Gbep). Au total des ressources pour toute l’Île d’Anticosti on a 40,6 milliards de barils équivalents (40,6 Gbep).  Les estimés précédents étaient en 2011 chiffrés à 46,1 Gbep, puis révisé en 2015 à 42,9 Gbep. Mais est-ce vraiment comparable, car les estimés de Chen et al. se rapportent à toute la superficie de l'Île, pas seulement aux territoires sous permis? C’est ce que nous analyserons dans le billet de ce mois-ci.

Le rapport Chen et al. [1] présente comme résultat final de l’étude deux cartes qui montrent la densité du pétrole (fig. 1) et du gaz (fig. 2) en place. Les auteurs se sont volontairement arrêtés à cette étape; ils ne sont pas entrés dans une répartition des ressources entre les trois détenteurs de permis, ni dans une évaluation de ce qui serait récupérable dans un scénario de développement. Ils ne se prononcent pas évidemment sur la rentabilité, ou la non rentabilité, de cet hypothétique gisement. L'objet de ce billet de juin 2016 est de compléter ces évaluations.

Nous avons délimités les quatre zones : les permis de Junex, le permis de Transamerican Energy et les 38 permis d’Hydrocarbures Anticosti ; dans l’encadré il y a la 4e zone, i.e. le reste de l’île constitué par le parc et et les réserves (fig.1 ci-dessous).


Figure 1  Pétrole en place exprimé en millions de barils par mille carré et par km(échelle de couleurs à gauche) – tiré de la figure 34 de Chen et al. 2016.

Deux « sweets spots » apparaissent nettement au centre et à l’ouest de l’Île ; le plus à l’ouest correspond au site retenu pour le forage prévu Canard_HZ (x) et l’autre est près du site du forage Jupiter_HZ (x). Le troisième forage prévu, La Loutre HZ (x), se situe entre les deux.



Figure 2  Gaz en place exprimé en milliards pieds cubes par mille carré et par km2 (échelle de couleurs à gauche) – tiré de la figure 37 de Chen et al. 2016.

La densité en gaz (fig. 2) est nettement plus élevée dans la partie sud-ouest de l'Île. Cela s'explique en bonne partie par l'épaisseur plus élevée du shale Macasty au sud de la faille Jupiter et cela s'explique aussi par la profondeur d'enfouissement plus élevée qui produit surtout du gaz au détriment des hydrocarbures plus liquides.

À partir de ces deux cartes de densité, nous avons pondéré et calculé les quantités de pétrole et de gaz en place dans les territoires des trois détenteurs de permis, ainsi que les quantités qui sont « gelés » dans les secteurs des parcs et des réserves. Le tableau ci-dessous indique les résultats obtenus :

Tableau 3 - Estimés pour les zones de permis: Junex, Transamerica et HA S.E.C. et pour les parcs

Les proportions des phases gaz et pétrole en place varient un peu (13% à 25% pour le gaz – 75% à 87% pour le pétrole). Donc le Macasty contiendrait surtout du pétrole et environ un cinquième en gaz. Il faut exclure du total des hydrocarbures en place (40,7 Gbep) ceux contenus dans les territoires hors des permis (3,7 Gbep) ; il reste donc 37,0 Gbep pour la somme dans les permis des trois détenteurs.

En 2011 et en 2015 il y avait eu des estimés de la ressource en place pour les territoires sous permis ; on peut les voir résumés au tableau ci-dessous :

Tableau 4 -  Variation dans le temps des estimés de la ressource en place:



Les données pour 2011 et 2015 du tableau 4 sont tirées des références [2], [3] et [4]. Les données de 2016 sont calculées à partir des cartes de Chen et al. [5].



À Anticosti, on constate qu’avec le nombre croissant de données (vingt forages en 2011, puis cinq de plus en 2015 et au final trente-deux forages en 2016), les estimés se sont affinés, mais dans le sens d’une diminution des valeurs attribuées ressources hypothétiques (46 -> 43 -> 37 Gbep). L'évaluation de la somme Gaz + Pétrole dans la zone des permis d'Hydrocarbures Anticosti diffère très peu pour les deux estimés 2016 et 2015:   28,8 Gbep en 2016  et  30,7 Gbep en 2015. Par contre l'estimé qu'a fait la firme NSAI en 2011  [réf. 2] pour les permis de Junex surestime (à 12,2 Gbep) de près de 60% la valeur récente (7,7 Gbep). Il faut préciser aussi que depuis 2011, Junex n'a pas fait aucun nouveau forage sur le territoire de ses cinq permis à Anticosti. Junex n'a pas pu convaincre aucun partenaire pour une campagne de forage en 2014. La valeur de 2011 n'avait donc jamais été réévaluée depuis.


En octobre 2015, un rapport pour l’ÉES signé Ministère des Finances [réf. 5] a fait la manchette en postulant qu’Anticosti serait un gisement de gaz à 77,5% et 22,5% en pétrole. Cette évaluation était établie pour un scénario « optimisé » où 4155 puits couvrant 1662 km2 dans une partie de l’Île. L’évaluation de l’ÉES assez paradoxalement n’a pas été faite avec les données des travaux récents sur Anticosti ;  elle se basait surtout sur une transposition de données observées en Ohio. De plus elle comportait des erreurs méthodologiques vivement dénoncées.  Le rapport final de l'ÉES Anticosti [7] reprend telles quelles toutes les valeurs du rapport de l'an passé du Ministère des Finances [5] avec les mêmes conclusions erronées** quant aux estimés d'hydrocarbures récupérables.


Les nouvelles données de la CGC 2016 sont bien plus complètes, car elles intègrent tous les forages les plus récents (2014 et 2015). Avec les résultats de l'étude de Chen et al., nous avons repris ci-dessous (fig. 3) les densités de gaz et de pétrole en place dans le territoire retenu pour le scénario « optimisé » de l'ÉES:


Figure 3  Gaz et pétrole en pour le scénario «optimisé»; pour la légende des couleurs, voir fig. 1 et 2.

Ce territoire englobe les deux « sweet spots » pour l’huile; il ne couvre qu’une partie de la zone la plus riche en gaz (comparez les fig. 2 et 3). Ce territoire des 4155 puits se situe partiellement dans les permis d’Hydrocarbures Anticosti et de Junex, ainsi que dans la totalité de l’unique permis de Transamerican Energy.  Les valeurs de la figure 3 nous ont permis de pondérer la répartition des densités et ainsi calculer les quantités de pétrole et de gaz en place dans le territoire du scénario « optimisé ». Ces valeurs sont présentées dans la colonne de droite du tableau 5 ci-dessous :


Tableau 5 -  Ressources estimées en place dans le cas du territoire du scénario de 4155 puits – la dernière colonne à la droite du tableau :

La proportion des hydrocarbures en place reste ~ ¾ en pétrole et ~ ¼ en gaz (plus précisément 74% et 26%) dans ce scénario "optimisé", sensiblement les mêmes que dans l'ensemble des permis. Ces valeurs que nous avons calculées avec les données de l'étude de la CGC [1] diffèrent de celles qui se retrouvent à la base des données présentées par les rapports produits par l'ÉES [5],  [6] et [7] pour la simple et bonne raison que ces valeurs viennent de ce qui a été récemment compilé pour Anticosti, alors que celles de l'ÉES ont été tirées l'an passé d'une simulation théorique basée sur des proportions observées en Ohio.

Les pourcentages de récupération sont dans les cas réels très différents pour le gaz et pour le pétrole. Dans les gisements en exploitation on constate qu’entre 1,2 et 1,8% du pétrole et entre 8 et 15% du gaz en place peut être récupérable. Entre les valeurs « en place » et les valeurs « récupérables », les proportions des phases s’inversent : plus de gaz que de pétrole sortiraient des puits. Les résultats projetés sont dans le tableau 6.

Les valeurs des estimés Bas et Haut (encadrés bleu et rose dans le tableau 6) constituent les estimés les plus précis et les plus réalistes qu’on peut faire en ce moment. Est-ce que cela donnerait une possibilité d’exploitation rentable ?  Prenons le cas le plus optimiste (encadré rose du tableau 6) : 2095 milliards de pieds cubes de gaz récupéré par 4155 puits et 0,117 milliards de barils de pétrole récupérables donneraient respectivement 9,4 G$ (pour le gaz à 4,5$/1000pc)  et 11G$ (pour le pétrole à95$/baril);  un peu plus de 20 milliards de dollars au total pour la valeur brute extraite. Mais les dépenses de forage, d’exploitation et de transport représenteraient beaucoup plus: 95 milliards de dollars [réf. 5]. On voit bien que même en espérant une remontée spectaculaire bien au-delà de 95$/baril en 2020 ou après, il n'y a ici aucune rentabilité possible.


Tableau 6 - Ressources récupérables dans le cas du scénario de 4155 puits ; estimés Bas, Haut et            l’estimé dans l’étude AEC-No1&2 :
L’étude AECNo1&2 précise p.17 que 11683 Gpc représentent 4,7% du gaz en place    et que 584 millions de barils constituent 1,4% du pétrole en place, ce qui donnerait pour tout le gisement 43 milliards de bep en gaz + la même valeur en pétrole !**

La colonne de droite du tableau 6 reprend les valeurs publiées dans l’étude du ministère des Finances 2015 [réf. 5] pour montrer qu’elles étaient cinq à six fois surestimées : gaz 11683 Gpc au lieu de 2095 Gpc ;  pétrole : 584 millions de barils au lieu de 117 Mbbl. Cette étude a été dénoncée pour son manque de crédibilité et son erreur qui compte en double la donnée de départ utilisée : 43 Gbbl.
« dans le cas du scénario « Optimisé », pour l’ensemble des puits, la production pourrait totaliser 11 683 Gpi3 et 584 millions de barils de pétrole sur 75 ans; la production totale de gaz naturel et celle de pétrole sur la superficie exploitée correspondent respectivement à 4,7 % et à 1,4 % des hydrocarbures initialement en place estimés pour les permis d’Hydrocarbures Anticosti et de Junex sur l’île d’Anticosti » [réf. 5, p. 17]. Chacune de ces deux valeurs donne 43 milliards de barils en place; c'est donc pour arriver aux estimées de l'étude AEC-No1&2 [réf. 5] une ressource qui correspond à 43Gbbl (pétrole en place) + 43 Gbep (gaz en place) => 86 milliards de barils équivalents ! L'étude AECNo1&2 a cependant servi de base à plusieurs autres à l'ÉES, toutes ont répercuté la même erreur. Même le rapport final [7] publié ces jours-ci reprend sans discussion ces valeurs erronées. Pourtant l'ÉES a été informé dès janvier 2016 de la nature de cette erreur.

Si on envisageait qu’une exploitation qui se limiterait aux deux seuls « sweets spots », là où la densité la plus élevée de pétrole (fig. 1) atteint 10 millions de barils en place par km2, il faudrait quand même prévoir le coût de forer-fracturer 2,5 puits/km2. Ces puits coûtent au départ 25 M$ (en supposant un coût optimiste de 10 M$/puits), mais il faut en plus tenir compte d’une répartition des frais d’infrastructures pour la liquéfaction/traitement-transport du gaz (environ 10 G$) à mettre en place avant le début de la production. Combien peut-on tirer de chaque kilomètre carré fracturé dans le meilleur « sweet spot » ? En tablant sur un taux de récupération de 1,2% ou 1,8% du pétrole présent, cela donnerait entre 120000 et 180000 barils. Même à 100$/baril l’exploitation des seuls « sweets spots » ne rapporterait pas assez (12 M$ à 18 M$) pour payer le coût des puits (25 M$/km2). Inutile de préciser que les frais d’opérations et les coûts des installations de liquéfaction pour exploiter le gaz dans une parcelle limitée seraient eux-mêmes prohibitifs et donc impossibles à rentabiliser avec seulement les quelques centaines de puits qui correspondraient à un ou deux « sweets spots ».

L’étude avantages-coûts, la dernière étude de l'ÉES publiée en mars 2016 [6] constatait discrètement (p. 61) que « … les valeurs de référence retenues initialement dans la présente AAC ne permettaient pas d’obtenir une valeur privée positive… » même si elle aussi se fondait sur les données très optimistes de l’étude AECNo1&2 [5] (celles placées dans la colonne de droite du tableau 6). C’est dire qu’avant même de tenir compte des impacts et des externalités, il n’y a pas d’intérêt économique pour un éventuel exploitant. On le sait maintenant avec des chiffres de plus en plus précis.


*   En date du 13 juillet 2016, les erreurs que j'ai signalées dans le texte français ont été rectifiées par les auteurs du rapport.
** C'est sur cette base fausse que le rapport final de l'ÉES ([7] p.V) fait miroiter des retombées de deux milliards/an sur le PIB du Québec.


Références :
[1] Chen, Z., Lavoie, D., Jiang, C., Duchesne, M.J. et Malo, M., mai 2016.
Caractéristiques géologiques et évaluation des ressources pétrolières de la Formation de Macasty, Île d’Anticosti, Québec, Canada; Commission géologique du Canada, Dossier Public # 8019,   70 p. 
Rapport en français,     et     rapport en anglais

[2] Netherland, Sewell and Associates Inc. (NSAI) 2011. Évaluation du potentiel des 233275 acres des permis de Junex à Anticosti. N.B. La référence du rapport lui-même n’a pas pu être localisée, mais on peut citer en référence le communiqué émis par Junex.


[4] Sproule 2015 Mise à jour de l’estimé des ressources en place à Anticosti. 

[5] ÉES chantier Économie. Ministère des Finances, octobre 2015. Évaluation financière, évaluation des retombées économiques et scénarios possibles de développement de l’exploitation d’hydrocarbures sur l’île d’Anticosti. 98 p.


[6] ÉES février 2016, Étude ATVSO2. Analyse avantages-coûts (AAC) d’un éventuel développement des hydrocarbures à Anticosti, 100p.

[7] ÉES 30 mai 2016. Rapport final propre à Anticosti. 126 p.